Dans ce temps parcimonieusement compté , j'écris par tous les temps , les
autans , livrée aux quatre éléments.
Echevelée sous la pluie ou les doigts engourdis , la peau brûlée ou le
front aux vitres.
Assise au bord du jour ou noyée dans l'obscur , livrée aux ténèbres
intimes puis rendue à l'allégresse qui surgit d'un printemps précoce , d'un parfum entêtant de lilas , de seringa , de glycine. Poreuse.
J'écris pour dénoncer , protester , prêter voix aux muets méprisés. En
quête ardente et soutenue du mot juste.
J'écris contre le chaos , l'informe et le confus ; signature dérisoire au
bas du texte , du fragment tissé dans la trame.
Contre l'absence , le dérisoire et l'amnésie , je creuse et j'édifie , je
capture , je captive ; j'enregistre , je transcris et je célèbre.
Je rature et je réécris. Palimpseste , grimoire ,
brûlot.
Aiguisée par d'autres plumes , imperturbables et solitaires , la mienne
trace une trajectoire tantôt laborieuse , tantôt vive. Issue de haute enfance , barbouillée de lait , blanchie de craie studieuse mon écriture a grandi sous les branches maîtresses ,
exploré les fondrières et niché sous les combles.
Elle a mêlé son corps à d'autres : argiles pétries aux formes
changeantes. Métamorphoses. Elle a échangé salive , glaire , sperme et sang. Engendrée , elle a passé vie à son tour. Elle a pâti et ri sous les caresses , les insultes , les oublis , les
éloignements.
Ecriture familière , étrangère , elle ira jusqu'au bout du risque ,
jusqu'à vieillir et mourir , s'effacer , rentrer au couvert du texte universel comme on pose ses bagages sur le seuil de la maison nourricière.
Colette Nys - Mazure