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Trois mouettes
Je te donne trois mouettes
La pulpe d'un fruit
Le goût des jardins sur les choses
La verte étoile d'un étang
Le rire bleu de la barque
La froide racine du roseau
Je te donne trois mouettes
La pulpe d'un fruit
De l'aube entre les doigts
De l'ombre entre les tempes
Je te donne trois mouettes
Et le goût de l'oubli.
Andrée Chédid
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Venise
Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,
Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.
La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
Ah ! maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.
Pour le bal qu'on prépare,
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s'endormant;
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin.
Et qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?
Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté !
Alfred de Musset ( Contes d'Espagne et d'Italie )
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Le clown
A peine se lève le rideau
Apparaît le Clown rayonnant et beau
Il fait une entrée triomphale en trébuchant
Sous les applaudissements
Et les cris de joie des enfants
Avec son costume bariolé
Ses chaussures à pointure démesurée
Il danse avec allégresse la farandole
En faisant des grimaces de guignol
Dans ses mains il tient un violon
Et fredonne des chansons
Par les refrains le public lui répond
Avec le foulard il essuie son nez rouge et rond
Tire une élégante révérence avec son chapeau melon
Le spectacle se termine
Les enfants font triste mine
Le Clown derrière son sourire permanent fait ses adieux
Mais lui est-il toujours Si heureux ?
Yvette Bronner
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LE DÉSESPOIR EST ASSIS SUR UN BANC
Dans un square sur un
banc
Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
Il a des binocles un vieux costume gris
Il fume un petit ninas il est assis
Et il vous appelle quand on passe
Ou simplement il vous fait signe
Il ne faut pas le regarder
Il ne faut pas l'écouter
Il faut passer
Faire comme si on ne le voyait pas
Comme si on ne l'entendait pas
Il faut passer et presser le pas
Si vous le regardez
Si vous l'écoutez
Il vous fait signe et rien personne
Ne peut vous empêcher d'aller vous asseoir près de lui
Alors il vous regarde et sourit
Et vous souffrez attrocement
Et l'homme continue de sourire
Et vous souriez du même sourire
Exactement
Plus vous souriez plus vous souffrez
Atrocement
Plus vous souffrez plus vous souriez
Irrémédiablement
Et vous restez là
Assis figé
Souriant sur le banc
Des enfants jouent tout près de vous
Des passants passent
Tranquillement
Des oiseaux s'envolent
Quittant un arbre
Pour un autre
Et vous restez là
Sur le banc
Et vous savez vous savez
Que jamais plus vous ne jouerez
Comme ces enfants
Vous savez que jamais plus vous ne passerez
Tranquillement
Comme ces passants
Que jamais plus vous ne vous envolerez
Quittant un arbre pour un autre
Comme ces oiseaux.
Jacques Prévert - Paroles - 1945
Oh ! laissez-moi rêver !
Les étoiles scintillent ;
Le ciel est parsemé de leurs pâles clartés :
Sur la terre endormie où les vers luisants brillent,
L'astre des nuits répand ses rayons argentés.
La nature s'endort sous l'aile du silence ;
A peine un doux murmure ose-t-il s'élever ;
Tandis que tout repose, il fait bon lorsqu'on pense,
Oh ! laissez-moi rêver !
Oh ! laissez-moi rêver ! Je veux poursuivre un songe ;
Je veux, pour un instant, le ressaisir encor ;
moi Je veux jouir toujours de ce si doux mensonge ;
Je veux rêver tout seul pendant que chacun dort.
Il fait si bon songer à tout ce que l'on aime,
Au secret que le coeur se plaît à conserver,
A tous ces vains désirs que l'on détruit soi-même !
Oh ! laissez-moi rêver !
Oh ! laissez-moi rêver ! Voyez, la nuit est belle ;
Le zéphyr s'est tu pour me laisser songer.
Dans l'océan d'azur où l'étoile étincelle,
Au sein du firmament je voudrais plonger.
Je voudrais, transporté sur des ailes de flamme,
Monter, monter, toujours, sans jamais arriver
Et contenter enfin les désirs de mon âme.
Oh ! laissez-moi rêver !
Oh ! laissez-moi rêver ! C'est si doux, un beau rêve !
La vie a bien assez de peine et de douleur !
Quand on fait un beau songe, il faut bien qu'on l'achève ;
Mieux vaut se croire heureux, même au sein du malheur !
Mais la nuit va s'enfuir à l'aspect de l'aurore ;
Mon beau rêve si doux, je veux le conserver !
Oh ! je vous en supplie, il en est temps encore,
Oh ! laissez-moi rêver !
André BESSON
Un chat perdu
Un chat perdu rôdait
Aux portes des maisons.
Une vieille cousait,
Assise à son balcon.
" O vieille ! dit le chat,
Je vis de peu de chose:
Deux pétales de rose
Comblent mon estomac. "
" En ce cas, dit la vieille,
Entrez , pauvre matou;
Dormez dans ma corbrille,
Faites comme chez vous. "
Mais allez croire un chat !
Dès qu'il fut chez la vieille,
Il lui mangea jusqu'à
L'ouate de ses oreilles.
Maurice Carême
Le premier jour de l'an
Les sept jours frappent à la porte.
Chacun d'eux vous dit: Lève-toi!
Soufflant le chaud, soufflant le froid,
Soufflant des temps de toutes sortes,
Quatre saisons et leur escorte
Se partagent les douze mois.
Au bout de l'an, le vieux portier
Ouvre toute grande sa porte
Et d'une voix beaucoup plus forte
Crie à tout vent: Premier janvier!
Pierre MENANTEAU
Sous des cieux faits de filasse et de suie,
D'où choit morne et longue la pluie,
Voici pourrir
Au vent tenace et monotone,
Les ors d'automne ;
Voici les ors et les pourpres mourir.
O vous qui frémissiez, doucement volontaires,
Là-haut, contre le ciel, tout au long du chemin,
Tristes feuilles comme des mains,
Vous gisez, noires, sur la terre.
L'heure s'épuise à composer les jours ;
L'autan comme un rôdeur, par les plaines circule ;
La vie ample et sacrée, avec des regrets sourds,
Sous un vague tombeau d'ombre et de crépuscule,
Jusques au fond du sol se tasse et se recule.
Dites, l'entendez-vous venir au son des glas,
Venir du fond des infinis là-bas,
La vieille et morne destinée ?
Celle qui jette immensément au tas
Des siècles vieux, des siècles las,
Comme un sac de bois mort, l'année.
La femme au chat - RENOIR
Femme et Chatte
Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.Elle cachait - la scélérate! -
Sous ses mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien...Et, dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien
Brillaient quatre points de phosphore.
Paul VERLAINE