Après " Barbey D'aurevilly " en 2008 et " Sand et Ségur " en 2009
parus aux Editions Cahiers du Temps , Dominique Bussillet est partie à le rencontre de Gustave Caillebotte et Guy de Maupassant.
Une jeune fille vêtue de bleu coud , assise dans un jardin paisible.
Derrière elle , trois femmes , plus âgées et vêtues de noir , cousent et lisent.
La fraîcheur de sa robe , l'inclinaison de son profil délicat , la finesse suggestive du soulier pointant sous la jupe : tout contraste avec l'austérité des trois autres personnes.
Les heures semblent s'écouler lentement dans ce jardin.
En réalité : dans ce tableau de Caillebotte peint en 1876 ,
" Portraits à la campagne " , cette jeune fille si concentrée sur son ouvrage , ne seait-ce pas Jeanne Le Perthuis des Vaux ,
l'héroïne de Maupassant dans " UNE VIE " ?
Ce n'est qu'une impression mais pourtant ...
Elle est si troublante aux yeux de Dominique Bussillet. Si tenace que l'auteure relit Maupassant pour en avoir le coeur net.
" J'eus beau relire maintes et maintes fois UNE VIE , avec étonnement et perplexité , je ne trouvai aucune scène où Jeanne fût ainsi assise en train de coudre dans le jardin de la propriété familiale ... et pourtant , pour moi , le tableau de Caillebotte et le roman de Maupassant étaient désormais indissolublement liés ... "
Alors , comment explique cette impression ? Où l'insaisissable s'enracine -t-il ? L'essai de Dominique Bussillet
" Maupassant et l'univers Caillebotte " est une tentative de réponse.
Passant au-delà de l'oeuvre , Dominique Bussillet choisit de chercher plus loin , dans la vie du peintre et de l'écrivain.
" Le travail d'écriture se fait enquête. "
" Qui étaient -ils donc , Guy De Maupassant et Gustave Caillebotte , l'écrivain et le peintre , c es deux hommes qui nous racontent ainsi les deux versants des vies humaines , qui esquissent pour nous des décors et des destins , qui font naître en nous des impressions puissantes , avec en fond sonore une petite musique qui finit toujours par être triste ? "
Ils ont tout d'abord ces points communs si chers à l'auteure : ils sont normands et nés au XIX è siècle.
Caillebotte naît en 1848 , Maupassant en 1850.
Peintre pour l'un , écrivain pour l'autre , solitaires , " travailleurs acharnés , amis généreux , canotiers et marins dans l'âme , ni Guy ni Gustave ne se marieront, ni l'un ni l'autre ne reconnaîtront d'enfants. " Quoi d'autre ?
Ils aiment l'eau , les bateaux , le canotage. Et le canotage n'est - il - pas une autre forme de solitude ?
Le mot revient , " solitude ". Et fait écho aux deux oeuvres évoquées.
La jeune femme en bleu a beau être entourée , elle semble bien seule. Jeanne a beau être épouse et mère , elle est terriblement seule.
Mais de " la pire des solitudes : lasolitude à deux " , " ce désamour de bien des couple séparés par la routie plus sûrement que l'absence " analyse finement Dominique Bussillet.
Cette solitude était aussi celle de Maupassant. " Aimer ses contemporainsslui paraît impensable : peut-être les a-t-il trop
disséqués, a-t-il été trop perspicace , au fil de ses nouvelles et de ses articles ?
A qui, à quoi se raccrocher , pour qui , pour quoi , travailler sans cesse , écrire sans relâche ? "
Dominique Bussillet s'interroge : " L'art peut-il suffire à supporter le fardeau de la vie ? ...
Peinture ou littérature ne peuvent que tenter vainemant de reproduire la nature ou l'homme , pour donner l'illusion de la vie." Et repousser la mort ?
Si l'art ne peut aider à traverser la vie, la solitude , elle , laisse tout au moins le temps de se consacrer à son art.
Et l'art u XIX è siècle vivra un formidable renouveau avec la naissance de l'impressionnisme.
" Le XIX è siècle veut saisir l'insaisissable : l'âme ; peintres et écrivains veulent l'écoulement du temps ...
Il ne s'agit plus seulement de représenter le réel ... , il faut donner l'illusion du réel , donc le restituer à travers des impressions , et non plus de détails ; il faut aller chercher de l'autre côté du miroir l'intangible secret , capter l'instantané. "
C'est un nouveau regard que Caillebotte pose sur le monde.
" Le peintre travaille maintenant en plein air , " sur le motif " , il doit se soucier de la lumière et de ses effets. "
Dominique Bussillet affirme que Caillebotte a tenu un " rôle original , précurseur et indispensable ".
Peintre , mécène et collectionneur à la fois.
Peut-être est-ce pour cela alors que la solitude - si douloureuse tant elle irradie , les recoins du temps - semble imprégner romans et tableaux.
Guy de Maupassant
S'il est un point commun entre Caillebotte et Maupassant , c'est alors cette " façon de concevoir le monde qui rend la même sincère tonalité , même si leurs moyens d'expression sont différents. Ce sont des histoires qu'ils nous racontent , Guy et Gustave , des histoires d'une humanité en souffrance qui veut continuer à espérer ,
à croire que l'art est encore la plus sûre façon de vaincre l'éternelle solitude. "
Gustave Caillebotte
Mais n'est-ce pas ce que voulaient les impressionnistes ?
" Faire du beau avec du banal , saisir l'instant pour le rendre éternel , créer une histoire avec les détails de la vie quotidienne , donner vie à des personnnaes qui nous deviennent familiers , souvent très proches. "
Si proches qu'il nous semble parfois déjà les avoir vus ... Et faire de la jeune fille en bleu du tableau , l'héroïne de Maupassant , rêver une " amitié " entre Caillebote et Maupassant , n'est -ce pas " saisir l'insaisissable " ?
Tableau de Caillebotte " Portraits à la campagne "
Alors Dominique Bussillet creuse encore. Et découvre un ultime point commun entre les deux hommes : la mort du frère. René Caillebotte est mort en 1876 à l'âge de 25 ans. Hervé de Maupassant meurt à 33 ans , en 1889.
Tous deux sont alors " persuadés qu'ils vont mourir jeunes , et hantés par l'idée de la maladie ou de la mort ".
L'avenir leur donnera raison : Caillebotte meurt à 45 ans. Maupassant à 43 ans. Cette obsédante quête de l'instant , ce désir ardent de le dire dans sa fugacité même , prennent leurs sources là , dans ce manque.
Dans la peur que cette rencontre prématurée avec la mort ne se renouvelle.
La solitude et la mort partagent peut-être la même ombre. " Être soi ou un autre , agir par soi-même ou être l'obscur réceptacle de pensées inconscientes , se comprendre , exister par soi-même et non comme le reflet d'un autre , se revendiquer , enfin ; voilà la quête obstinée du peintre , de l'écrivain , cherchant à émerger de l'ombre qui les cache ou se substitue à eux. "
De livre en livre , se glissant derrière ses écrivains et artistes fêtiches , Dominique Bussillet semble continuer à nous livrer à petites touches , avec discrétion toujours et subtilité , deux ou trois choses d'elle.
Mais peut-être n'est-ce qu'une impression ...
( Source : Livre / échange Mars 2010 )