La nuit des femmes qui chantent de Lidia Jorge
(Métailié - "Bibliothèque portugaise" - 310 pages - janvier 2012)
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Titre original : "A noite das mulhere cantoras" - 2011
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Troisième livre lu dans le cadre du challenge de Littérama "Lire avec Geneviève Brisac" après "Bonjour Minuit" de Jean Rhys et "De joyeuses funérailles" de Ludmila Oulitskaia
Il y avait très longtemps que je voulais lire Lidia Jorge. Le challenge a donc été l'occasion pour moi de lire ce livre "La nuit des femmes qui chantent"
paru en France l'an dernier. C'est le 9e livre publié par les éditions Métailié, dont on ne vante plus la qualité de
son catalogue.
Le roman s'ouvre sur la "nuit parfaite". C'est une soirée TV, organisée à Lisbonne pour rappeler qu'il y a vingt et un ans, un groupe de cinq
filles chantait. Aujourd'hui, elles sont quatre : les soeurs Alcides (Nina et Maria Luisa), Solange (la narratrice) et Gisela, la vedette. La cinquième, africaine, n'est pas là : Madalena Micaia
(dite "The African Lady"). et surprise, sur scène surgit João de Lucerna, le chorégraphe, disparu depuis toutes ces années. C'est une grande émotion pour Solange. Grand émoi cette soirée. Solange
se rappelle alors cette aventure vieille de 21 ans.
Solange avait alors 19 ans, écrivait des poèmes et a été repérée par Gisela, laquelle, grâce à la fortune de son père, veut faire un disque. Et Gisela
entraîne ces 4 jeunes filles dans ce projet "fou".
Solange écrit et toutes cinq répètent dans un garage. Des musiciens, une costumière et un chorégraphe viennent progressivement s'intégrer à leur groupe pour
préparer un disque, qui sera suivi d'une tournée internationale.
Toutes les étapes de cette "aventure musicale" sont décrites, presque jour après jour, par Solange. Gisela va "veiller au grain" pour que tout se passe
bien, allant jusqu'à demander à ses quatre amies de n'avoir pas de relation amoureuse pendant cette année de travail intensif.
On ne s'ennuie à aucun moment car il y a toujours des "rebondissements" dans ce roman assez "sombre", comme un fado, mélancolique aussi. La fin est assez
étonnante... "impensable" comme le dit l'éditeur en 4e de couverture.
L'écriture est magnifique, vraiment. Une langue exceptionnelle. Des paragraphes assez longs et soudain, une phrase, isolée, comme une question, comme une
respiration musicale qui annonce la suite.
"Je revois ce premier jour de répétition avec João de Lucerna" (page 113)
"Maria Luisa a dit tout bas : Tout ça est de ma faute . Et pourtant je n'ai mal nulle part". (page 131)
Des transitions qui aèrent le texte, qui le relancent aussi.
Page 153 (pour illustrer le style si beau, au ton si juste, si intelligent pour ce subtil roman) - début du chapitre 12 : "Le premier jour de mars le
garage s'est rempli de monde. Gisela Batista nous a averties qu'il s'agissait de gens avec des sachets d'acide à la place du coeur. Mais elle se sentait calme, elle avait une confiance absolue
dans ses oeuvres d'art. Sereines et calmes, nous allions inaugurer nos prouesses devant ce public. Maria Luisa avait retiré l'attelle qui protégeait son bras, Madalena Micaia avait perdu deux
kilos et demi et ça se voyait surtout sur son visage. Sa peau sombre brillait, ses traits avaient ressuscité d'une forme antérieure qui nous était inconnue..."
310 pages de littérature belle et intense. Bref, un très beau livre, que j'ai lu avec un grand bonheur de lecteur attaché à la qualité du style, des mots...
et porté également par l'histoire, simple, mais prenante, car bien construite...
Lidia Jorge est née en 1946. Très jeune elle est confrontée à la lecture à haute voix dans sa famille. On comprend ainsi la musicalité de sa langue,
son attachement pour le rythme qui conduit son texte et sa narration. Solange est sa porte parole.
Un livre et une auteure que je recommande très vivement pour tous les amoureux de la littérature de qualité.
Bonne lecture,
Denis