Fugitives d'Alice Munro (Editions de l'Olivier - Août 2008 - 342 pages)
Traduit de l'anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
Titre original : Runaway (2004)
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Alice Munro, née en 1931 au Canada, vient d'être récompensée par le prestigieux Prix Nobel de Littérature. Sa spécialité, ce sont les nouvelles. Et "Fugitives" fait partie de ces recueils.
J'avoue ne pas être très fan des nouvelles, toutefois, j'ai profité que l'auteure a été mise à l'honneur pour le blogoclub le 1er mars pour la lire. De plus, je me suis toujours promis de lire au moins un livre de chaque prix Nobel.
C'est ainsi que j'ai décidé de lire "Fugitives", souhaitant "prendre mon temps" pour que chaque nouvelle soit en elle-même un "tout". Un nouvelle tous les jours ou tous les 2 jours sur une quinzaine de jours. Et cette méthode de lecture a été très favorable car j'ai vraiment eu plaisir à lire ce livre.
Alors, bien sûr, quand on a affaire à un très grand auteur, nouvelle ou roman, c'est toujours du bonheur de lecture assuré.
Tout commence avec la nouvelle qui donne son titre au recueil. La 4e de couverture nous a d'ailleurs averti : "Elles partent. Fuguent. S'enfuient. S'en vont voir ailleurs..."
Carla et Clark vivent dans un mobil home et ont quelques chevaux qui leur permettent de donner des cours d'équitation. Une question de survie plutôt qu'autre chose. Et puis, leur chèvre Flora part et ils ne la retrouvent pas. Elle, au moins, elle est partie, alors que Carla qui s'ennuie ici, n'a pas osé. Sa voisine, Mrs Jamieson, de retour d'un long voyage en Grèce, la reprend comme femme de ménage même si elle s'est occupée de la maison pendant son absence. Et c'est elle qui lui conseille de partir, de choisir sa vie à présent. Elle lui donne même une adresse... Alors, Carla va-t-elle partir comme sa chèvre ???
Autre nouvelle : "Hasard" qui met en scène Juliet en 1965. Et puis, cette héroïne va être suivie pendant les 2 nouvelles suivantes : Bientôt et Silence. Et on la suit sur une quarantaine d'années. Juliet, jeune femme, a quitté sa contrée pour la région de Vancouver, où elle est venue faire un break de six mois dans ses études de lettres classiques pour enseigner et se confronter au monde extérieur. Dans un train, elle a rencontré Eric et s'est mariée plus tard avec lui. Et comme on voyage beaucoup dans ce livre en autocar, en voiture, en train à travers l'immensité du Canada, elle part voir ses parents. Elle voit sa mère très fatiguée, rencontre des membres de sa famille et dit à un pasteur qu'elle n'a donné aucune éducation religieuse. Bien mal lui en a pris, car dans la nouvelle Silence, sa fille Pénélope, devenue adulte, a rejoint une communauté religieuse vouée au silence. Et quand elle va vouloir aller la voir, sa fille est partie. Elle ne la reverra jamais car après sa vocation au silence, elle s'est mariée et est partie dans le Grand Nord canadien.
Les autres nouvelles sont également des portraits de femmes que l'on voit au présent puis que l'on suit dans leur passé. Il en est ainsi de Grace qui revient sur les lieux de sa jeunesse, ce qui permet à l'auteur de parler de cette période plutôt tragique pour elle. Car revenir sur son passé n'est pas forcément du bonheur surtout quand on y a vécu un drame.
Eileen, Robin et Nancy occupent l'espace des trois dernières nouvelles. Partir puis revenir sur les lieux de son passé comme une boucle qui se referme sur soi. Car peut-on vraiment quitté les lieux auxquels on a été attaché. Voilà tout le problème car les êtres finissent par se retrouver à un moment ou un autre. Un ami, un amour de jeunesse ressurgit et une nouvelle vie peut reprendre.
Un livre, riche, écrit avec panache par une très grande écrivaine. Elle donne envie de lire des nouvelles (souvent 30 - 40 pages minimum), c'est dire la force de son style et de ses histoires.
Bonne lecture,
Denis
Editions de L'olivier 2008 - traduit Par Jacqueline Huet - 340 pagesPour le rendez-vous du blogoclub de ce premier mars, nous avons proposé une lecture libre autour d'Alice Munro, née au Canada e...
http://sylire.over-blog.com/article-fugitives-alice-munro-122502665.html
Médée de Sénèque (Imprimerie Nationale - collection "Le spectateur français") Traduction et notice de Florence Dupont
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Challenge En 2014, je lis du Théâtre !
Nous avons tous des pièces de théâtre dans nos PAL (oui, vous pouvez jeter un oeil, il y a toujours un Racine ou un Dumas qui se cache entre deux pavés). Des livres dont on se dit souvent qu'on...
http://lacavernedankya.canalblog.com/archives/2013/11/21/28481606.html
Livre lu dans le cadre du challenge d'Ankya
A la recherche du temps perdu de Marcel Proust (Bibliothèque de la Pléiade)
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Suite de ma lecture du tome 1 d'A la recherche du temps perdu de Marcel Proust
http://bonheurdelire.over-blog.com/article-a-la-recherche-du-temps-perdu-de-marcel-proust-tome-1-pleiade-120589032.html
je viens d'achever le tome 2 qui contient les volumes suivants :
- Le côté de Guermantes
Et toujours en lisant 10 pages par jour.
Dans ces volumes Proust, par la voix de son narrateur, aborde régulièrement les manières de parler des uns et des autres. Ainsi, il analyse le langage de Françoise, l'employée de la maison. Le directeur de l'hôtel de Balbec déforme les mots qu'il emploie...
Les noms de lieux sont également passés au crible de l'éthymologie.
Et puis surtout, on reste dans les mondanités tout au long de ces deux textes. Proust ne se privant pas de critiquer ce monde qui se croit cultivé et qui connait à peine Balzac. Ils aiment dire des banalités mais il faut se montrer, être là.
Sodome et Gomorrhe présente un nouveau thème : celui de l'homosexualité. M. de Charlus qui, un soir, a humilié le narrateur se révèle être homosexuel, arrangeant des rencontres avec Jupien son giletier par exemple.
Il soupçonne aussi son amie Albertine d'aimer les jeunes femmes. Ses relations avec elle sont difficiles. Il en fait sa fiancée, appréciant être avec elle. Mais sa jalousie habituelle fait qu'il la retient au maximum pour qu'elle n'aille pas voir ses amies. Sa mère va d'un mauvais oeil sa relation avec Albertine. Il envisage de la quitter d'ailleurs au cours de son séjour d'été à Balbec, mais il se ravise.
On va chez les Guermantes à Paris et chez les Verdurin à Balbec, du moins dans la campagne proche. Et prendre le train est une belle aventure, quand on ne prend pas la voiture décapotable conduite par un chauffeur, car bien sûr on reste mondain même ici.
Résumer 1 000 pages est impossible surtout que chez Proust l'action n'est pas le principal de son récit. On peut rester des dizaines de pages à la même soirée où l'on parle, l'on écoute et pour beaucoup on se montre. Ce sont les mots de Proust qui nous portent dans ce monde fermé mais passionnant quand on prend l'angle du narrateur très critique, réaliste.
Page 668 : "Tout en marchant à côté de moi, la duchesse de Guermantes laissait la lumière azurée de ses yeux flotter devant elle, mais dans le vague, afin d'éviter les gens avec qui elle ne tenait pas à entrer en relations, et dont elle devinait parfois, de loin, l'écueil menaçant. Nous avancions entre une double haie d'invités, lesquels, sachant qu'ils ne connaîtraient jamais "Oriane", voulaient au moins, comme une curiosité, la montrer à leur femme : "Ursule, vite, vite, venez voir madame de Guermantes qui cause avec ce jeune homme"".
Page 1011 : "Malheureusement pour M. de Charlus, son manque de bon sens, peut-être la chasteté des rapports qu'il avait probablement avec Morel, le firent s'ingéner, dès cette époque, à combler le violoniste d'étranges bontés que celui-ci ne pouvait comprendre et auxquelles sa nature, folle dans son genre, mais ingrate et mesquine, ne pouvait répondre que par une sécheresse, ou une violence toujours croissantes, et qui plongeaient M. de Charlus - jadis si fier, maintenant tout timide - dans des accès de vrai désespoir".
Le narrateur n'est jamais omniscient. Il a des doutes sur les relations des uns et des autres. Mais voilà, les phrases souvent longues et sinueuses opèrent un charme fou sur le lecteur, car on sait avec Proust qu'il faut prendre son temps, le suivre dans les méandres de sa pensée.
Le 1er mars, j'entame le dernier tome qui fait aussi plus de 1 000 pages, ce qui me fera terminer l'oeuvre entier pour la mi-juin. Un an de bonheur de lecture avec ce texte tellement original dans son traitement littéraire. Un livre unique qui ne nous quitte pas.
Bonne lecture
Denis
Amphitryon de Plaute (GF Flammarion - 290 pages- 1998)
Présentation et traduction par Charles Guittard
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Edition très riche pour ce texte de Plaute avec présentation et dossier complet sur l'auteur, son temps et le théâtre latin.
Ma présentation d'Amphitryon s'inspire de notes prises lors de la lecture de la présentation faite par Charles Guittard.
Amphitryon, le héros de la tragi-comédie (comme l'appelle lui-même Plaute : 254-184) est devenu le type de l'hôte qui reçoit à sa table et offre à dîner ; l'esclave Sosie un nom commun pour une parfaite ressemblance entre 2 êtres.
C'est dire que cette pièce a compté dans l'histoire du théâtre. Sa particularité est notamment liée au fait qu'elle est une comédie mythologique où au couple humain Ampitryon/ Sosie se substitue Jupiter/Mercure.
L'intrigue évoque les amours de Jupiter avec Alcmène, l'épouse d'Amphitryon et son dénouement est destiné à expliquer la naissance de grand héros justicier et civilisateur de l'antiquité : Hercule.
N'oublions pas que l'art latin est une imitation de l'art grec et Plaute n'échappe pas à cette "jeune" tradition.
La pièce a 1 146 vers. Il en manque 272 perdus dans les transcriptions . On retrouve dans la comédie latine l'alternance chant - paroles mais le choeur a disparu. La partie dialoguée représente à peine plus du quart du texte dans "Amphitryon".
De longs monologues viennent ponctuer le rythme de la comédie.
Plaute, issu d'une condition modeste, a exercé tous les métiers liés au théâtre dont comédien et auteur. Sa pièce est difficile à dater mais elle serait de 187. C'est donc une oeuvre de la pleine maturité.
Enfin, la pièce a inspiré Molière et Giraudoux.
L'intrigue est relativement simple. Amphitryon est parti à la guerre avec son esclave Sosie. Jupiter prend alors la physionomie parfaite d'Amphitryon et son fils Mercure celle de Sosie. il ne sera pas difficile de tromper la vigilance d'Alcmène. Ainsi, elle accepte dans son lit Jupiter et il lui fait un enfant. Seulement, Amphitryon avait fait de même. Il faut donc que le Dieu Jupiter fasse qu'Alcmène accouche en même temps de jumeaux.
Sosie est le premier à rentrer à la maison mais Mercure l'empêche d'approcher car Jupiter est avec Alcmène à l'intérieur. Sosie raconte la bataille dans les détails à Mercure et se doit de la rapporter à l'épouse de son maître. Mais Mercure qui a l'apparence de Sosie dit à Sosie de partir car il est un imposteur.
Peu après, Jupiter part avec Mercure et Amphitryon apprend de la bouche de Sosie qu'un homme s'est substitué à lui. Amphitryon le prend pour un fou et rentre chez lui auprès d'Alcmène. Elle est fort étonnée de son retour si rapide alors qu'il vient de la quitter.
Folie générale ! Amphitryon ne comprend plus rien, jusqu'à ce qu'il découvre la supercherie. Alcmène est donc "une prostituée" !!!
Jupiter comprend que le couple ne doit pas pâtir de cette soif qu'il a eu de passer de bons moments avec Alcmène et sa meilleure parade est de dire à Amphitryon que sa femme accouche de deux jumeaux, dont Hercule, un Dieu, ce qui ne pourra qu'augmenter sa gloire déjà forte de par sa victoire contre les téléboens.
L'acte IV a été amputé d'une grande partie de sa substance et la fin de l'acte est fait de fragments.
La tragi-comédie ne fait plus rire comme elle a pu le faire à l'époque de Plaute. Ce sont les quiproquos qui font toute la saveur de cette pièce qui se lit avec plaisir.
Bonne lecture,
Denis
Cette lecture s'est faite dans le cadre du challenge d'Ankya "En 2014, je lis du théâtre" et fait suite à la petite série que j'ai faite en janvier autour du théâtre grec. Je resterai avec les latins en février avec "Médée" de Sénèque.
Eimelle a lancé un challenge théâtre auquel je m'associe également
Boy de Richard Morgiève (Carnets Nord - janvier 2014 - 280 pages)
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Nouveau roman de Richard Morgiève paru chez Carnets Nord, après "United Colors of crime" en 2012 et que j'avais présenté sur mon blog. Et ainsi donc, nouveau partenariat avec cet éditeur dont les livres ne me déçoivent jamais et je le dis en toute sincérité. Merci donc à Fleur et Carnets Nord de leur fidélité.
Ainsi donc, entrer dans l'univers de Richard Morgiève est toujours une aventure. Après les USA des années 1950, c'est le monde contemporain, hanté par le monde virtuel des jeux et d'Internet qui sert de support à ce roman. Et puis, étonnant, je viens d'en faire la constatation, United Colors of crime se passait en 1951 et Boy commence en octobre 1951. Comme une résonance d'un livre l'autre.
Sauf que 1951 et le Tonkin, c'est une aventure écrite par le père de Boy et qu'elle met en scène dans la forêt de Fontainebleau en 2013.
"Boy est blessé le 7 octobre 1951 à Bo-Sien, au nord du Tonkin. A l'aube, lorsque son bataillon décroche. Touché à la cuisse, Boy roule dans les bambous et s'assomme. Il revient à lui, seul avec les autres. Il ne bouge pas. Ils s'approchent. Ils ne font pas de bruit. C'est leur silence qui les trahit. Plus il y a du silence, plus ils sont là".
Le roman débute comme cela. Et page suivante, on apprend que Boy est en fait une jeune femme de 19 ans, belle, lesbienne. Au fil du roman, on va voir qu'elle se dit qu'elle pourrait aussi aimer un homme... Elle travaille dans une boite de nuit pour filles "Les filles". Elle s'est blessée en reconstituant la scène écrite par son père ce qui intrigue les "flics" quand ils vont l'apprendre car elle a dû se rendre aux urgences pour être soignée. Kevin et Giss commencent à l'ennuyer avec leur histoire, car Boy, elle, veut être libre de faire ce qu'elle veut.
Elle soigne son père, malade à la limite grabataire. Mais inlassablement, tous les jours, elle l'installe devant son PC car elle voudrait qu'il continue à écrire, lui qui a été auteur reconnu. Il a écrit de nombreux débuts de romans jamais finis et Boy croit qu'un jour tout reviendra et que le père saura reprendre une existence littéraire forte...
Seulement, le monde virtuel de Boy vient s'installer dans sa "vraie vie" au travers de Bill, un tueur en série, qui veut Boy pour lui et coucher avec elle car il l'aime. Tout commence quand il lui envoie sur son téléphone portable "une tête de mort rigolote, signée BILL" ( page 97).
Elle en parle à Kevin et Giss. Il convient de prendre au sérieux cette histoire d'autant que très vite, Bill, masqué, nu avec juste un étui pénien pour habit tue les gens proches de Boy. Il aime mutiler, décapiter. Et chaque fois, il fait tout pour que ce soit mis sur la place publique. Il sait utiliser les réseaux, les téléphones, les PC pour passer ses horribles videos partout où c'est possible. Et pour faire peur.
Boy n'a pas peur. Elle est forte, armée, boxeuse et sportive, pratiquant les arts martiaux.
La violence montre de plus en plus au fil des pages et malgré la protection de la police, Bill parvient à s'approcher de Boy et il lui dit qu'il la possédera un jour, elle qui est encore vierge.
Il va s'en prendre à son père aussi. Bref, elle est cernée par cet homme, comme si les jeux videos étaient venus s'inviter dans sa vie.
Thriller, roman policier gore... Ce pourrait être un livre comme cela, sauf que "Boy" est inclassable car c'est avant tout un livre qui allie poésie des mots, langage syncopé, phrases brèves ou plus longues. Et c'est un livre musical aussi où les références à des chansons sont constantes.
Elle aime les femmes mais pourrait aimer les hommes aussi.
Page 116 : "Elle n'a pas peur. Pas peur de ça. Elle a peur de son rapport avec son père, de l'amour. Elle pense à Franz. Elle s'efforce de ne pas penser à Roxane mais elle y pense. Elle ne sait plus qui elle est. Depuis sa rencontre avec Franz, tout a changé. Ca va trop vite. Et même son rapport avec lui... Mais Roxane et même Giss viennent tout compliquer. Elle est passée du néant au trop-plein. Elle finit de laver le parquet de sa chambre".
Entre son père, Roxane et deux hommes qui l'aiment que faire. Alors que Boy semble être au-dessus de sa vie terrestre, flirtant aussi avecle monde virtuel, comme dans les jeux videos, sauf que là Bill vient tout perturber.
Vous aurez compris que ce livre est un vrai coup de coeur par son style, son thème original, à mi-chemin entre littérature policière et littérature onirique.
Bonne lecture,
Denis
Ce livre paru en janvier 2014 entre dans le challenge 0 à 9 de Julie consacré au chiffre 4 entre le 11 janvier et le 10 février.
Correspondance Verhaeren - Zweig
(Editions Labor - Collection "Archives du futur" - 608 pages - 1996)
Edition établie par Fabrice Van de Kerckhove
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277 lettres échangées entre 1900 et 1914 par Emile Verhaeren (1855-1916) et Stefan Zweig (1881-1942) avec quelques lettres écrites par ou pour Marthe Verhaeren, l'épouse d'Emile.
Au moment où débute cette correspondance, en 1900, Verhaeren a 45 ans et commence à être vraiment reconnu en Belgique comme un grand poète. Zweig, lui, a 19 ans et a publié plus de 100 poèmes dans des revues. Il s'intéresse alors à Verhaeren qu'il va ensuite traduire, éditer dans le monde germanique (Allemagne et Autriche).
C'est ainsi l'objet de la première lettre de Zweig en 1900. Mais c'est surtout à partir de 1904 que leur correspondance s'étoffe. Ils vont se rencontrer régulièrement en Belgique chez Verhaeren au Caillou-qui-bique près de Roisin à Bruxelles ; en France à Saint Cloud ou à Paris. Egalement en Allemagne et en Autriche quand Zweig organise des conférences pour son ami poète.
La majeure partie de la correspondance est orientée sur le travail fait par Zweig pour diffuser l'oeuvre de Verhaeren dans son pays.
Le texte est très (trop !!!) riche en notes et informations autour des relations entre les deux hommes et le contexte politique et littéraire dans lequel se placent leurs lettres.
Rien que l'introduction fait 100 pages. C'est fastidieux par moments mais tellement éclairant sur cette période 1900 - 1914.
Pour les lettres belges, Camille Lemonnier est le "patriarche", très respecté. Et puis il y a Maeterlinck qui va, involontaire être le rival de Verhaeren pour le prix Nobel. Car même si ce prix est encore jeune, il est déjà très prisé compte tenu de sa renommée internationale.
Très belle amitié, fraternelle. Malheureusement, la Grande Guerre arrive. C'est l'invasion de la Belgique par l'armée allemande, ce que ne supporte pas Verhaeren, témoin d'atrocités, notamment sur des enfants.
Il en rendra compte dans ses poèmes. Zweig en a connaissance et ne comprend pas que Verhaeren puisse avoir la haine d'une culture qu'il a tant vénérée pour quelques atrocités commises par des soldats. Ce sera alors Romain Rolland qui essayera de les réconcilier, demandant à l'un et à l'autre de relativiser leurs "élans" : Zweig doit comprendre que les atrocités existent et Verhaeren doit accepter le principe que la guerre crée des excès mais que la culture doit rester de mise pour vivre au-dessus des contingences matérielles !!! Toujours est-il que Verhaeren va mourir en 1916, sans réconciliation possible.
Zweig va reprendre contact avec Marthe Verhaeren en 1923 car il souhaite continuer à défendre l'oeuvre d'Emile dans son pays.
Cette correspondance montre combien l'Histoire peut venir perturber des relations amicales. Elle est surtout intéressante pour s'imprégner des relations culturelles entre la Belgique et l'Allemagne-Autriche au début du 20e siècle. Verhaeren étant d'origine flamande et bien qu'écrivant en français, il était considéré comme un germanophile et Zweig a beaucoup joué là-dessus pour le rendre célèbre, faisant remarquer que la France l'appréciait avec frilosité.
Stefan Zweig a écrit toutes ses lettres à Verhaeren en français, plutôt de bonne facture, ce qui est à noter et en fait un francophile.
Un bon moment de "littérature européenne" que cette correspondance.
Denis
Livre qui s'inscrit dans le challenge "littérature francophone d'ailleurs"
Et également dans sa déclinaison spécifique
pour le mois de janvier 2014 en littérature belge francophone :
Nouvelles histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe
(Le Livre de Poche - 358 pages)
Traduit de l'anglais (USA) par Charles Baudelaire
Introduction de Michel Zéraffa
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23 nouvelles réunies et traduites par Baudelaire et publiées sous ce titre en 1857.
Laissons la parole à Baudelaire (textes présentés en fin de volume) :
A propos de la nouvelle : "Elle (la nouvelle) a le dessus sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l'intenité de l'effet... L'unité d'impression, la totalité d'effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu'une nouvelle trop courte (c'est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu'une nouvelle trop longue"...
A propos de la narration chez Poe : "Généralement Edgar Poe supprime les accessoires, ou du moins ne leur donne qu'une valeur très minime. Grâce à cette sobriété cruelle, l'idée génératrice se fait mieux voir et le sujet se découpe ardemment sur ces fonds nus. Quant à sa méthode de narration, elle est simple. Il abuse de Je avec une cynique monotonie. On dirait qu'il est tellement sûr d'intéresser qu'il s'inquiète peu de varier ses moyens. Ses contes sont presque toujours des récits ou des manuscrits du principal personnage... Dans les livres d'Edgar Poe, le style est serré, concaténé, la mauvaie volonté du lecteur ou sa paresse ne pourront pas passer à travers les mailles de ce réseau tressé par la logique".
Poe est en effet un maître de la nouvelle efficace où chaque mot est pesé. La poésie est toujours présente dans la manière d'agencer les phrases, de décrire des moments, des êtres ou des lieux. Sa précision fait frémir aussi.
On ressent aussi la poésie de Baudelaire par exemple dans le début de la nouvelle bien connue " La chute de la maison Uher" :
"Pendant toute une journée d'automne, journée fuligineuse, sombre et muette, où les nuages pesaient lourds et bas dans le ciel, j'avais traversé seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre, et enfin, comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher."
Oui, toujours "je" pour raconter des histoires sordides où l'on tue, où l'on parle avec des morts-vivants souvent jaillis de la terre ou des ténèbres, comme cette fée de "L'île de la fée" : (Fin de la nouvelle) "Mais à la fin, quand le soleil eut totalement disparu, la Fée, maintenant pur fantôme d'elle-même, entra dans son bateau, pauvre inconsolable ! dans la région du fleuve d'ébène, - et si elle en sortit jamais, je ne puis le dire, - car les ténèbres tombèrent sur toutes choses, et je ne vis plus son enchanteresse figure".
ll est impossible de parler de chaque nouvelle. Toutes n'ont pas la même qualité mais toutes nous entrainent dans une vision de notre monde à méditer. On est dans le démembrement des certitudes. On est tout de suite dans le vif de l'action. Et la réalité s'effondre car on est presque toujours dans le surnaturel, sans doute celui causé par l'opium, le cauchemar ou les halucinations.
Le lecteur se laisse entraîner dans ce monde fantasmagorique et retient le style toujours parfait, forcément baudelairien...
Poe (1809 - 1849) fait partie des poètes "classiques" américains, dans un pays encore en formation. Mais il n'a vraiment rien de "classique" dans sa démarche littéraire.
Bonne lecture,
Denis
Livre lu dans le cadre du "Challenge US" de Noctambule autour d'une thématique que je me suis proposé "écrivains précurseurs de la littérature US" pour l'année 2014 : Janvier - Edgar Allan Poe
L'auteur pour février 2014 sera Walt Whitman (1819-1892).
Cette lecture rentre aussi dans le challenge XIXe siècle :
Les nuées d'Aristophane (GF Flammarion - Théâtre complet Tome I)
Traduction, introduction, notices et notes par Marc-Jean Alfonsi
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La comédie grecque a une origine essentiellement religieuse. Elle est sortie comme la tragédie des fêtes de Bacchus où l'on célébrait, par des chants et des danses, le dieu du vin.
Susarion serait l'inventeur de la comédie (vers - 530 av JC). Mais Phormis et Epicharme auraient inventé la fable comique, hélas il ne reste quasiment rien de leur oeuvre. C'est avec Aristophane (né vers - 445, mort en ???) et ses contemporains qu'elle va atteindre son point de perfection, ouverte à la satire des moeurs et de la politique avec grande liberté.
Sans doute athénien de naissance, les oeuvres de ce tome forment son oeuvre la plus ancienne et se tournent contre les actions du peuple. La période postérieure, notamment avec "Les oiseaux" prend pour cible les femmes et traitant de sujets de pure fantaisie.
Aristophane s'arroge le droit de tout critiquer librement : les chefs, les politiciens et démagogues. Il raille aussi les institutions.
La pudeur n'existait pas à l'époque ce qui choqua les commentateurs plus tard. Mais on trouve chez lui toutes les gammes du comique : le trait, l'ironie, les jeux de mots, les hyperboles, les substitutions de mots, la parodie ...
Enfin, il a été "pacifiste", défenseur acharné de la paix.
Ses comédies sont souvent partagées en deux parties : une pour exposer le sujet et une seconde pour illustrer son propos avec des
exemples.
Sur ses 44 pièces, il en reste 11 qui nous sont parvenues.
(Informations issues de l'introduction de Marc-Jean Alfonsi)
Venons-en à "les Nuées" représentée en -423. Même si les parties, les scènes ne sont pas découpées, on peut voir se dessiner deux pièces : la première partie concerne l'initiation du vieillard (plutôt "comique") et la deuxième partie sert à condamner l'enseignement des sophistes et par ricochet de Socrate, ce qui n'a pas plu à ses contemporains. Ainsi, "Les nuées" n'a pas eu vraiment le succès qu'aurait espéré Aristophane.
Le vieillard, c'est Strepsiade, poursuivi par ses créanciers. Il a un fils Philippide. Il demande à son fils s'il sait quel enseignement donne son voisin d'en face. Il se trouve que c'est Socrate. Le rencontrant, Strepsiade entend suivre son enseignement, partagé entre le Juste et l'Injuste. Et puis, il espère trouver les moyens d'éliminer ses dettes. Pour cela, il faut être "savant". Socrate lui parle des "nuées" qui font tomber la pluie, car il ne faut pas croire que c'est Zeus qui fait tomber l'eau. Ils vont aussi étudier comment discerner si un nom est masculin ou féminin. Les mesures sont aussi à l'ordre du jour.
Seulement, Strepsiade, vieux, ne retient pas trop ce que lui dit Socrate. Il en parle à son fils, lui disant que c'est lui qui devrait être instruit par le philosophe et non lui.
Le choeur demande alors au "Raisonnement Juste" et au "Raisonnement Injuste" d'expliquer leur philosophie à Philippide. Chacun bien sûr pense avoir la bonne "formule" pour une vie meilleure. Le Juste est pur, l'Injuste offre de l'originalité dans sa vie.
Strepsiade demande ensuite à son fils de lui expliquer cette "philosophie" socratique. Mais il s'en tient à sa "culture" qui est de dire qu'à chaque lune qui revient à la fin du mois, les créanciers reviennent le sommer de payer ses dettes.
Quant au fils, il dit à son père qu'il peut à présent le taper, comme Strepsiade a fait quand il était jeune. Nouveau rapport de force...
Où mène la connaissance !!!
On sourit régulièrement car Strepsiade prend vraiment Socrate pour un "crétin". Et il se moque de sa philosophie reformulant à sa façon les préceptes de l'homme. Beaucoup d'ironie dans cette pièce "philosophique". L'écriture est très littéraire et comme dans les tragédies, le Choeur est là pour reformuler, pour interroger les uns et les autres.
J'avoue avoir pris plus de plaisir à lire les tragédies que cette comédie. Sans doute parce que j'aime les mythes et qu'ici on est dans la cité, dans la vie et Socrate dit qu'il faut sortir des Dieux car ce ne sont pas eux qui dirigent le monde.
Ainsi s'achève mon "mois grec". Février débutera avec Sénèque et le monde romain.
Bonne lecture,
Denis
Livre lu dans le cadre du challenge d'Ankya : "2014, je lis du théâtre".