Meursaut, contre-enquête de Kamel Daoud
(Actes Sud - mai 2014 - 155 pages)
Première édition : Alger 2013
Prix des cinq continents de la francophonie 2014
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"L'Etranger" d'Albert Camus paru en 1942 met en scène Meursault, un français d'Algérie qui apprend la mort de sa mère.
Pour mémoire, le roman débute ainsi "Aujourd'hui, maman est morte".
Dans sa "contre-enquête, l'auteur algérien Kamel Daoud commence comme ceci : "Aujourd'hui, M'ma est encore vivante".
Meursault va sembler très indifférent par rapport à cette mort puisqu'il va aller au cinéma par exemple plutôt que de vivre son deuil immédiatement. Et puis surtout il va tuer un arabe, anonyme, car Camus ne dit rien de cet homme. Personne ne s'intéresse à cette victime dans le roman. Alors Kemal Daoud a l'idée de cette "contre-enquête", donnant un nom à l'arabe. Il s'appelait Moussa et son frère, Haroun, lui a survécu de longues années. Il avait 7 ans en 1942 et 70 ans plus tard il parle de son frère avec un jeune universitaire français venu en Algérie sur les traces de Camus et du roman. Ils se retrouvent dans un café où Haroun parle inlassablement car c'est la première fois qu'il peut réellement raconter ce passé, ce crime et puis aussi de ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie. Ces rencontres sont un clin d'oeil de Daoud à "La chute" d'Albert Camus qui reprend également un dialogue dans un bar...
Haroun et plus encore sa mère, ne se sont jamais vraiment remis de cette mort "froide", anonyme. Il est allé sur la plage où son frère a été tué. Mais tout a changé à Alger depuis. Lui et sa mère sont allés ensuite vivre à Hadjout mais une nouvelle vie ne pouvait effacer la mort de Moussa. Il fallait d'une façon ou d'une autre, un jour... venger cette mort atroce et c'est la mère plus que Haroun qui souhaite cette vengeance.
L'amateur de Camus que je suis a trouvé beaucoup de plaisir à lire ce livre comme contrepoint de "l'histoire officielle". Cette fois, on est placé du côté des autochtones, frustrés d'avoir toujours été malmenés pendant la période coloniale. Si Meursault n'avait pas montré de la "négligence" vis-à-vis de sa mère morte, il n'aurait sans doute jamais été jugé.
Revivre le meurtre est troublant et montre que Camus s'est servi d'un fait divers avec des incohérences narratives qui voudraient démontrer que "L'Etranger" est un roman et que Moussa l'anonyme est peut-être bien réellement un anti-héros romanesque.
Kamel Daoud joue avec le romanesque à travers cet excellent "roman" à l'écriture de grande qualité et fluide. Les camusiens devraient aimer ce livre.
N'oublions pas que Kamel Daoud est menacé dans son pays d'une "fatwa". Il faut reconnaitre que dans son livre il fait quelques allusions sans complaisance pour l'Islam.
Bonne lecture,
Denis