Naufrages de YOSHIMURA Akira (Actes Sud - 191 pages - février 1999)
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
Titre original : Hasen (1982)
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Je ne connaissais pas cet auteur mis à l'honneur par Adalana dans le cadre de son challenge "écrivains japonais" pour le mois d'août.
Ce fut donc une belle découverte d'un auteur décédé récemment (1927 - 2006).
Son roman "Naufrages" a pour thème une légende japonaise que l'auteur raconte avec beaucoup de "délicatesse", de précision. Une style presque trop parfait pour une bien étrange histoire.
Dans un passé non daté (sans doute il y a plusieurs siècles), un village vit en autarcie (ou presque). En effet, il est bordé par la mer d'un coté et par la montagne d'un autre côté, ce qui rend les premiers voisins à 2-3 jours de marche difficile.
Isaku, 9 ans, est un de ces habitants isolés du monde. Son père est parti pour trois ans travailler loin d'ici, car il faut survivre à la pauvreté du village. Il est, par ce fait, devenu le "chef de famille" auprès de sa mère, souvent violente, et ses trois frères et soeurs.
On suit la vie du village avec ses rites, ses saisons pour "boucler" une année. La peche y est importante. Sardines, puis encornés et maquereaux pour finir. Quand la montagne rougit, c'est l'automne, puis le blanc de la neige arrive. Et le cycle reprend, invariablement. Des rites servent aussi à "rythmer" l'année.
Et alors, la grande histoire du village, perpétuée de générations en générations, c'est de piller les navires qui viennent se fracasser sur les côtes dangereuses qui environnent le village. Dès le début de l'hiver, chaque soir, il faut entretenir un feu de cuisson de sel. Isaku, pour la première fois est désigné pour assumer cette fonction, une nuit sur dix. Il avait trois ans la dernière fois qu'un navire a été naufragé ici. Et sans cette manne, le village est pauvre et oblige certains habitants dont le père d'Isaku à partir pour plusieurs années. Alors, chacun espère voir un navire au loin. Six ans de disette...
Le lecteur attend avec ces villageois cette venue improbable. Et le miracle se produit. Tout le monde s'affaire autour du navire pour ramener la cargaison et détruire le navire en prenant tout ce qui peut servir. Il ne doit y avoir aucun survivant, ni aucune trace car la tradition du village ne doit pas être connue à l'extérieur, puisque c'est une pratique entièrement illégale. Isaku participe à la surveillance des lieux pendant le "dépeçage"... D'autres aventures vont venr assombrir la vie du village, mais je n'en dirai pas plus... Il faut lire le livre pour le savoir.
L'auteur est réputé pour avoir écrit des histoires sombres, notamment autour de la seconde guerre mondiale, ou comme ici, sur des légendes japonaises.
Il est vrai que l'histoire est pesante par moment et nous tient en haleine, tel un roman policier. Mais le "charme", c'est l'écriture, sans faille, avec sa part de poésie dans l'énoncé de la vie de ce village : rites, observation de la nature et des êtres. Isaku est courageux du haut de ses neuf ans, puis de ses dix et onze ans car l'histoire s'étale sur trois ans. Monotonie d'une vie faite de survie essentiellement aussi...
Quelques passages pour illustrer le style limpide, poétique et "efficace", car il n'y a pas un mot de trop pour raconter cette "folle" légende.
Le début du roman : "De vieux capuchons de paille flottaient çà et là dans les premières vagues. Quand les rouleaux s'écrasaient sur les récifs au loin sur la côte, l'écume arrivait par vagues successives aux peids d'Isaku et la mer se cambrait pour venir s'écraser contre les rochers".
Page 22 : "A l'approche de la saison du rougeoiement des feuilles dans le village, Isaku portait sur les lointains sommets un regard différent de celui e l'automne précédent. // Depuis qu'on l'avait laissé se joindre aux hommes pour l'incinération de Kinzo, il était joyeux à l'idée d'être considéré comme un adulte, conscient de sa position dans la communauté qui comptait principalement des femmes, des enfants et des vieillards".
Page 49 : "Un homme, parti dans la montagne poser des pièges pour attraper des lapins, raconta à son retour au village qu'il avait vu des pruniers en fleur dans la vallée.// Aucun arbre ne fleurissait dans le village trop exposé à l'air marin, et il fallait s'enfoncer dans la montagne si l'on voulait voir des fleurs. Ayant appris la nouvelle, le chef du village y dépêcha dès le lendemain matin l'un de ses hommes pour vérifier, puis ordonna de cesser la cuisson du sel à partir de la nuit suivante".
Une lecture très intéressante sans être un coup de coeur pour moi.
Bonne lecture,
Denis