Camus est l'un des seuls écrivains français qui aient affronté et pensé
le terrorisme.
Dès la fin des années 1940 , il s'y intéresse. Sous le titre de
" Tu peux tuer cet homme ", il a édité un recueil de textes russes
présentés par Brice Parain dans la collection " Espoir "
qu'il dirige aux éditions Gallimard.
Deux pièces , " Les Justes ", en 1949, et l'adaptation scénique
des " Possédès " , dix ans plus tard, manifestent la constance
de cette préoccupation.
" L'homme révolté ", en tant qu'essai sur la perversion de la révolte,
fournit un cadre théorique à cette représentation du geste terroriste.
La guerre qui , à partir de 1954, ravage son Algérie natale, a permis
à Camus d'affiner sa réflexion.
Dans plusieurs de ses articles à " L'Express ", il aborde la question
qui frappe le plus l'opinion métropolitaine.
La flambée d'attentats qui ensanglante sa terre natale a,
pour lui, des causes.
" Le terrorisme, en effet, n'a pas mûri tout seul ; il n'est pas le fruit
du hasard et de l'ingratitude malignement conjugués...
En Algérie, comme ailleurs, le terrorisme s'explique par l'absence d'espoir.
Il naît toujours et partout , en effet , de la solitude, de l'idée qu'il n'y a
plus de recours ni d'avenir,
que les murs et les fenêtres sont trop épais et que,
pour respirer seulement, pour avancer un peu, il faut les faire sauter."
Il est le fruit amer des humiliations accumulées par une population marginalisée, la conséquence des revendications insatisfaites,
le résultat des promesses jamais tenues.
" Le terrorisme algérien , écrit encore Camus , est une erreur sanglante ,
à la fois en lui-même et dans ses conséquences."
Il est l'expression de la " haine ", il est porteur de " racisme ".
Il a pour premier effet de mettre les "libéraux "
dans une position intenable.
En 1945 , il avait titré l'un de ses articles :
" C'est la justice qui sauvera l'Algérie de la haine."
" Quelle que soit la cause que l'on défend, elle restera toujours
déshonnorée par le massacre aveugle d'une foule innocente où le tueur
sait d'avance qu'il atteindra la femme et l'enfant " , peut - on lire dans Chroniques algériennes.
Camus n'en reste pas à cette dénonciation morale et politique.
" Le sang, s'il fait parfois avancer l'Histoire, la fait avancer
vers plus de barbarie encore. "
L'attentat suicide et le bombardement aveugle d'un village, en tant que
moyens de guerre, sont des crimes contre l'humanité injustifiables
dans la mesure où ils ne distinguent pas les combattants et les civils.
L'organisation terroriste, parce qu'elle s'attaque au premier venu,
parce qu'elle postule la diabolisation de l'adversaire et met en avant
l'idée de responsabilité collective, reproduit ce qu'elle voulait abolir,
l'arbitraire.
Elle joue toujours contre la démocratie.
Il existe, pour Camus , une relation de causalité entre une pratique cynique
de la violence et sa codification par un pouvoir absolu.
Il a distingué le terrorisme groupusculaire et le terrorisme d'Etat , mais pressenti qu'on pouvait passer de l'un à l'autre.
En d'autres termes, le parti d'avant - garde armé sert de laboratoire sinon de matrice au " despotisme ", à l'Etat totalitaire qui institutionnalise
ses agissements meurtriers.
( Source Le Monde / Hors - série CAMUS )
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