L'homme qui ne savait pas dire non de Serge Joncour
(J'ai lu - 253 pages - juin 2012)
Première édition Flammarion 2009
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Le titre de ce roman à lui seul m'a interpellé car j'ai eu l'impression de m'y retrouver. En effet, j'ai du mal à dire non. Et le personnage de Serge Joncour est ainsi : il ne sait pas non et surtout ne peut pas dire non. C'est parfois très embarrassant, surtout quand on lui pose une question qui devrait être répondue par un vrai NON, et lui il dit oui, ou essaie d'éluder la question.
Alors, ceci dit, je sais dire NON ce qui est rassurant car il faut aussi savoir asseoir sa personnalité.
Pour Beaujour c'est véritablement un supplice.
Après un prologue de quelques pages, le roman débute au chapitre 1 par cette phrase : "Dans les premiers temps c'est une véritable épreuve que de vivre sans ke recours de ce mot-là, au début on n'en finit pas de se laisser surprendre, ça suppose en plus d'une vigilance de tous les instants, de ne pas trop sortir de ses habitudes, laisser le moins de place possible à l'inattendu".
Malgré le "tragique" de ce handicap qui peut avoir des effets graves, Beaujour vit assez bien sa situation avec des situations cocasses que l'écrivain imagine avec beaucoup de finesse.
Au début du chapitre 2, l'auteur nous dit "Qu'on se rassure pour lui tout va bien".
Pas si bien que cela en vérité car Beaujour veut comprendre pourquoi il ne peut pas dire ce mot et se rend dans un atelier d'écriture. On lui demande alors de remonter dans sa mémoire au-delà de sa propre vie, chez ses "ancêtres" (grands-parents, arrières-grands-parents) et d'écrire ses "souvenirs". Dans le livre ces textes apparaissent dans des chapitres intercalés sous le nom de "L'ouvroir des mots perdus - Broderie N°1" (il y en aura 10 au total).
Et donc des situations cocasses il y en aura de nombreuses dans le livre. Par exemple, au début du roman, Beaujour pense qu'il est de bon ton d'inviter au restaurant MArie-Line, la nouvelle secrétaire de direction. Et sur le chemin qui mène au restaurant, une première gaffe (Page 30) : "... elle lui a simplement demandé : - Dites-moi, àa vous ennuie si je fume? - Oui. Ca lui avait litéralement échappé. - Ah bon, mais même là, en marchant, ça vous gêne? - Marie-Line, comment vous dire... Quel revers, il s'était fait surprendre. C'était calamiteux, déjà il cherchait à rattraper le coup".
Voici le ton du roman, c'est dire qu'on ne s'ennuie pas avec cet homme très gauche qui ne maitrise pas sa vie avec ce mot "empêché".
Son métier est d'être statisticien et quand il interroge les "sondés", il obtient des 99% de oui à certaines questions, ce qui le fait remarquer par le directeur de l'entreprise. Un homme capable de faire dire oui, quelle aubaine pour les politiques.
A partir de là, on tombe dans le "conte philosophique" comme le signalait "Le Nouvel Observateur", rappelé en 4e de couverture : "Un conte philosophique ravageur, sardonique et d'une constante drôlerie, un coup de balai voltairien sur notre époque de béni oui-oui".
Cette remarque est bien venue car elle résume bien ce roman.
La grande énigme du roman reste bien sûr de savoir si Beaujour va enfin réussir à dire "non".
N'oublions pas non plus que les chapitres souvent énigmatiques de "l'ouvroir" sont aussi un clin d'oeil à "l'ouvroir de littérature potentielle (OULIPO)", dont Serge Joncour est proche par l'intermédiaire de l'émission de France Culture "Des papous dans la tête" dont il fait partie des invités et se prête au jeu de mots souvent empruntés à des "formats" de l'OULIPO.
Je vous renvoie vers un article passionnant dans lequel l'auteur s'explique sur son oeuvre dont ce roman : "rencontre avec Serge Joncour" (Littera 05).
Vous aurez compris que j'ai vraiment aimé ce roman au ton juste où l'humour nous emporte au fil des pages, avec ces "coupures" que sont les "ouvroirs", ce qui donne deux voix (voies aussi) à ce roman : l'intimité de Beaujour dans ses "ouvroirs" et le recul du narrateur "objectif" pour les autres chapitres.
Lisez ce roman et l'oeuvre de Serge Joncour, vous ne serez pas déçu.
Et je vous renvoie aussi à un précédent article : "L'idole" de Serge Joncour.
Bonne lecture,
Denis