
(Photo Livre de Poche)
HHhH de Laurent Binet
(Le Livre de Poche - 443 pages - 2011 - Première édition Grasset 2009)
Prix Goncourt du Premier Roman 2010 et Prix des lecteurs du Livre de Poche 2011
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Attention : lecteurs, lectrices sensibles, ne vous abstenez pas de lire ce livre. Vous aurez des pages insoutenables, mais dîtes vous que tout ce qui est écrit dans ce livre est vrai (ou quasiment). L'auteur a écrit "roman" mais on voit bien qu'il a travaillé d'arrache-pied pour nous restituer la vie du nazi Reinhard Heydrich et de l'opération "Anthropoïde", montée par les tchèques, pour mettre fin à son "diktat" sur la Bohème-Moravie en 1942.
Alors, oui, il y a des pages insoutenables sur la shoah par balle en Ukraine, sur les exécutions froides des opposants. Et sans doute, le plus horrible est la narration de la destruction du village de Lidice, après l'attentat. Lidice est en quelque sorte, en juin 1942, l'Oradour sur Glane français de juin 1944.
Vous trouverez sur wikipedia l'origine de ce massacre :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lidice
Laurent Binet a vécu à Prague, ce qui lui a donné l'idée de raconter l'histoire de Ce bourreau nazi, grand, blond, d'allure très aryenne très vite bras droit de Himmler, donc dévoué corps et âme à la cause national-socialiste de Hitler. Il a été surnommé HHhH, qui est un acronyme pour Himmlers Hirn heißt Heydrich, signifiant le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich. Car l'homme est intelligent, cultivé, passionné de musique aussi. Il dirige la SD (Sicherheitsdienst) service de renseignement nazi, avant d'être l'initiateur de la "solution finale" en janvier 1942.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Reinhard_Heydrich (cette page est très complète pour reprendre toutes les étapes de la vie politique de Heydrich, que Laurent Binet retrace tout au long de ce livre).
Et Heydrich est nommé par Hitler suppléant (Statthalter) du gouverneur du Protectorat de Bohème-Moravie, le titulaire du poste, Von Neurath étant jugé trop "mou" et mis en "longue maladie". Et c'est là que le livre prend toute son ampleur, car en même temps que l'on voit l'ascension de HHhH, l'auteur s'intéresse à deux futurs "héros nationaux" que sont Gabčík et Kubiš. Ces deux hommes sont commandités par Edvard Beneš, Président de la république tchèque en exil à Londres et son équipe rapprochée dont le Colonel Moravec, pour exécuter "l'opération anthropoïde" qui consiste à tuer Heydrich à Prague lors d'un attentat.
L'auteur nous introduit dans les méandres de la préparation des deux hommes en Angleterre puis sur le terrain, ce qui permet aussi de montrer la force de la résistance tchèque, insoupçonnée par les nazis.
Heydrich devrait partir pour la France renforcer la répression contre la résistance en cette fin mai 1942 et c'est le dernier jour possible pour tuer Heydrich à Prague qui est ainsi choisi.
L'auteur décrit avec précision l'attentat et ses suites, qui inclueront le massacre de Lidice, la "liquidation" de nombreux résistants qui ont gravité autour de Gabčík et Kubiš ainsi que l'assaut porté contre l'église Saint-Cyrille-et-Méthode.
Tout y est dans ce livre, tous les détails, découpés en 257 chapitres répartis sur deux parties : l'avant-attentat (350 pages) et l'après-attentat (95 pages).
Tout au long de son récit historique, Laurent Binet interpelle son lecteur, en lui disant de temps en temps, ces paroles n'ont peut-être pas été exactement celles-là ; telle action est peut-être inventée... Mais le romancier sans avoir la prétention d'être historien a tenu à restituer les faits avec le plus d'exactitude possible.
Le lecteur ne peut pas "sortir indemne" d'un tel roman, car il est mis devant la réalité horrible du nazisme. Mais Binet déclare à plusieurs reprises, qu'il a surtout voulu écrire ce livre pour rendre hommage aux "héros tchèques". C'était la première fois qu'un attentat allait ainsi être organisé contre un des principaux nazis. Gabčík et Kubiš sont devenus héros nationaux.
La "patte" de l'écrivain apparait tout au long du livre, ce qui en fait réellement un "roman", car il s'attache à présenter les faits sous le regard de "l'homme", citant régulièrement des auteurs comme Kundera, Nezval. Binet a donné beaucoup de lui pour raconter cette histoire et il dit avoir du mal à quitter ce récit qui l'a "happé", allant sur les lieux, recherchant des preuves, des précisions sur la préparation de l'attentat.
Début du chapitre 200 (page 320) : "Des rumeurs alarmantes courent sur Heydrich. Il quitterait Prague. Définitivement. Demain, il doit prendre l'avion pour Berlin. On ne sait pas s'il reviendra. Ce serait évidemment un soulagement pour la population thcèque. Mais cela signifierait aussi le fiasco d'"Anthropoïde". Ces nouvelles sont alarmantes pour les parachutistes, et aussi, bien qu'ils ne se doutent de rien, pour... les français."
En conclusion, il faut impérativement lire ce livre de préférence, comme moi, c'est-à-dire, sans savoir si l'attentat réussira, pour s'immerger complètement dans l'ambiance de l'époque et bien sûr on y croit au destin de ces deux héros, on les encourage même à détruire l'abject Heydrich, tueur au sang froid, qui n'a peur de rien, la preuve il circule dans Prague dans une Mercedes décapotalbe, généralement sans escorte, ce qui fait hurler Hitler...
J'ai lu ce livre sous forme d'une "lecture commune" (LC pour les initiés) avec Rozenn de la Caverne d'Ankia. (Maintenant que j'ai mis le lien, je vais lire son article, je ne voulais pas être influencé par son ressenti)