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Historique sur la tradition des oeufs de Pâques
Le cadeau des oeufs dits de Pâques à tous les enfants par la famille en tant
que petite unité sociale n'est qu' un fait folklorique récent en France , au moins dans les campagnes , sinon dans les milieux bourgeois , aristocratiques et de cour.
Le plus qu'on trouve dans les documents folkloriques , en ce qui concerne les premières et les bourgs , est un cadeau obligatoire d'oeufs par les parrains et marraines à leurs filleuls et
filleules.
Encore doit-on se demander s'il ne s'agit pas d'un transfert à cette date des cadeaux du même type, quoique sous une autre forme ( gâteaux spéciaux , éléments du costume ) , fixés à la Noël , au
Jour de l'An , à la Première Communion , aux anniversaires , fondé sur l'idée générale que Pâques est un jour de fête qui , comme tel , donne au même degré que les autres un droit aux enfants à
jouir , si on peut dire , d'un traitement préférentiel.
La rareté folklorique de la coutume est déjà prouvée indirectement par celle des régions où l'on dit populairement que les oeufs de Pâques sont rapportés de Rome par les cloches.
Elle l'est plus directement , mais pas absolument , par la rareté des documents historiques qui , même les plus anciens , ne permettent pas de remonter au-delà de la seconde moitié du XV è ne
concernent en grande majorité que les moeurs des cours royales ou ducales , quoi qu'en disent des vulgarisateurs plus ou moins dignes de foi.
Rien ne permet de prétendre que le don d'oeufs le jour de pâques est une survivance de l'Antiquité classique ou germanique , ou d'une cérémonie fécondatrice et multiplicatrice du Printemps ; ni
même d'admettre sans preuves que le peuple français aux périodes anciennes de son histoire et jusqu'à ces jours encore possédait sur le symbolisme et le pouvoir magique de l'oeuf des conceptions
identiques à celles de l' Antiquité méditerranéenne , de l'Orient ou de certains peuples dits sauvages , relativement rares au surplus.
Aux théories de la survivance et de l'emprunt s'opposèrent assez tôt en France les arguments du bon sens , qu' Amédée de Ponthieu résuma en 1866 de la manière suivante :
L'opinion généralement admise rattache l'origine de la coutume des oeufs de pâques à l'établissement du Carême.
Dès le IV è siècle , l' Eglise interdit l'usage des oeufs pendant la pénitence des quarante jours qui était alors rigoureusement observée.
Une grande quantité d'oeufs se trouvant en tassée dans les provisions du ménage , le moyen le plus expéditif de s'en débarasser était de les donner aux enfants.
On en fit même l'objet d'un cadeau amusant en les teignant ou en les entourant de figurines et de devises.
Mais d'autre part , il pense aussi que ces oeufs de Pâques ont une signification symbolique et rappelle à ce propos les coutumes des Persans , des Russes , des Romains et d'autres peuples encore
où l'oeuf joue un rôle rituel , à divers moments de l'année.
La théorie du " bon sens " entraînerait la conclusion que la coutume étudiée remonte au Moyen - Âge , et c'est ainsi que l'ont également située Victor Fournel en 1887 et Beauquier en 1900.
En ce qui concerne l'Europe occidentale , les recherches des historiens ne fournissent que peu de repères.
Sans doute , l'Eglise inscrivit vers la fin du XII è siècle une Benedictio ovorum dans le rituel général ; mais ceci ne prouve pas que les particuliers s'offraient des oeufs à Pâques , ou en
offraient aux enfants ; or , c'est le texte le plus ancien connu , le suivant relatif au Palatinat , n'émergeant qu'en 1490 , et les autres , déjà plus nombreux , au XVI è siècle seulement : en
1522 , don d'oeufs de Pâques le Dimanche des Rameaux en Alsace aux syndics ; en 1524 , défense à Strasbourg de récolter des oeufs en public ; en 1533 , allusion à un cadeau d'oeufs rouges en
Alsace dans le Regnum Papisticum de Thomas Kirchmair ( Naogeorgus ); en 1581 , l'Alsacien Fischart , traducteur de Rabelais , parle d'oeufs de Pâques dans son Binkorb ; en 1624 , un auteur
strasbourgeois dit qu'à Pâques " on teignait les oeufs en vert , en rouge , noir et bleu et d'autres manières encore ".
Les documents européens les plus anciens sur la coutume se localisent en Alsace ; on n'a réussi à en trouver pour le XV è siècle ni en Allemagne , ni en Angleterre , ni en France , où elle n'est
certifiée qu'au cours du XVI è siècle , et seulement à la cour des rois de France. Elle y subsista jusqu'à la Révolution , et de telle sorte qu'il fut de règle au XVIIIè siècle que l'oeuf le plus
gros du royaume pondu dans la Semaine Sainte revînt de droit au roi.
Doit-on conclure que le cadeau des oeufs de pâques a pris naissance en Alsace vers la fin du XV è siècle et s'est diffusé à partir de cette province en aval et en amont dans la vallée du Rhin , en Hollande et en Suisse , et de part et d'autre du fleuve en Allemagne et en France , puis du continent en Angleterre et en Ecosse.
Cette opinion est volontiers admise par les folkloristes suisses et alsaciens ; mais Linckenheld , qui avait étudié leurs mémoires et ouvrages , déclarait en 1936 que " la question n'était pas entièrement réglée. "
Les documents folkloriques , s'ils ne peuvent la " régler " , aident néanmoins à en limiter les termes.
Leur relevé géographique prouve , en effet , qu'il existe en france de grandes régions où la coutume n'existe pas de nos jours , sauf par imitations récentes de ce qui se fait dans les villes et dans les milieux bourgeois , et sans qu'on ait le droit de supposer qu'elle y ait existé autrefois.
On tiendra compte dans ce relevé des catégories de personnes à qui et par qui les oeufs dits de Pâques sont donnés , durs ou frais , teints ou naturels , comme on les remet aux enfants de choeur lors de leurs quêtes.
On verra ainsi que la coutume ne présente pas comme celle-ci un
caractère professionnel , mais un caractère familial , ce qui limite aussi les propabilités en faveur d'une explication symbolique : car on ne voit pas des parents donner à leurs petits enfants
des oeufs , pour les rendre féconds ou leur suggérer l'idée de la germination du Monde à partir de l'oeuf !...Et d'autant moins que que rien ne permet de supposer que d'abord ces oeufs
n'ont été donnés qu'aux adultes, mariés de préférence ; puis que la coutume ne serait tombée dans le domaine enfantin que par un processus de
dégénérescence.
Les sources de cet article viennent de ce livre
très riche et très intéressant.
Van Gennep Arnold
Editions Robert Laffont - Collection Bouquins
Ce manuel de folklore français, ouvrage auquel se consacra l'auteur dès 1935, a profondément marqué tous les spécialistes des traditions populaires.
Cette entreprise consista à regrouper en un corpus unique le résultat de
ses propres recherches et la synthèse des travaux effectués par ses prédécesseurs depuis la fin du siècle dernier.