A considérer ces trois vertus ( le courage , la tempérance et la justice ) , on
s'aperçoit qu'elles sont comme des ombres portées de la quatrième , qui est la sagesse ; car il s'agit toujours de n'être pas dupe et de garder son esprit clair ; et le premier effet des passions
est de nous aveugler.
Aussi la première vertu est-elle de bien juger , de bien discerner , de savoir ce qu'on veut , ce qu'on nous promet, ce qui nous importe , ce que nous voulons et ce que nous ne voulons
pas.
Il est clair que ceux qui veulent nous conduire commencent par effrayer , fatiguer et décourager notre attention , par un feu d'artifice de brillantes et bruyantes apparences , par l'éloge , par
l'injure , par le sarcasme, par la honte , par la menace. En effet , sous le nom de la vertu , c'est le jugement qui se trouve toujours visé.
Il n'y a qu'une vertu , c'est l'attitude libre de l'esprit devant lui-même.
C'est pour bien dire le respect de soi qui se montre sous les vertus.
Un homme vertueux , c'est un homme qui se sait , en quelque sorte , porteur d'esprit , et responsable de ce haut attribut.
Aussi le sage ne croit que soi , et de soi que son esprit ; jusqu'à dire quelquefois que la vertu n'est rien.
ALAIN
Emile-Auguste Chartier, dit “Alain”
Philosophe et humaniste Normand
Emile-Auguste Chartier, dit Alain (1868-1951), est avant tout un professeur. Après l'Ecole Normale Supérieure, il est reçu à l'agrégation de philosophie puis est nommé professeur successivement à
Pontivy, Lorient, Rouen au lycée Corneille et à Paris. Il eut comme élève, à Rouen, l’écrivain André Maurois. A partir de 1903, il publie dans la Dépêche de Rouen, sous la signature d'Alain, les
"Propos du dimanche", puis les "Propos du lundi" sous forme de chroniques hebdomadaires. Devenu professeur de Khâgne au lycée Henri IV en 1909, il a exercé une influence profonde sur ses élèves
(Raymond Aron, Simone Weil, Georges Canguilhem...).
Ayant vu de près les atrocités de la Grande Guerre, il publie en 1921 son célèbre
pamphlet "Mars ou la guerre jugée". Jusqu'à la fin des années 30, son oeuvre sera guidée par la lutte pour le pacifisme et contre la montée du
fascisme.