Mariées rebelles (poésie) de Laura Kasischke
(Editions Page à Page - 190 pages - Août 2016)
Edition bilingue traduite de l'anglais (USA) par Céline Leroy
Préface de Marie Desplechin
Edition originale: Wild Brides (1992 - New York)
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Laura Kasischle est surtout connue par ses romans dont "Les revenants " ou "Esprit d'hiver" (que j'avais présenté sur le blog en 2013).
Mais elle a aussi écrit de la poésie dont ce recueil en est le reflet.
Dans sa préface, Marie Desplechin écrit :
"Si l'écriture de la romancière a des comptes à rendre à la poésie, sa poésie présente une belle ardoise au comptoir du roman. Kasischke raconte des histoires, elle raconte son histoire, avec une liberté que le carcan du roman interdit (sa longueur, sa dramaturgie, ses cadres). Elle pratique une manière dépouillée, prosaïque, fraternelle, directe et presque enfantine de plier la langue pour se confronter au sens et à l'émotion. (page VIII).
Le site poezibao propose un des poèmes du recueil en version bilingue (le dernier de la 2e partie pages 95 et suivantes) que je reproduis ici dans la traduction de Céline Leroy :
Les radis
L’amour est un mur et la haine aussi.
Par exemple
un après-midi.
La rivière était aussi blanche qu’une rivière de lait
dans la lumière éblouissante de l’été.
Les fusées au bord des champs de maïs pétaradaient.
Et j’avais quatre ans,
à moitié nue dans le jardin
arrachant des radis à pleines mains.
Ma grand-mère me surveillait depuis la véranda, se balançait.
Quand j’ai eu tout un bouquet
de racines, grossières
et déjà rouges, couvertes
de terre,
je l’ai agité vers elle
et j’ai souri
et j’ai ri.
Parce qu’elle ne m’aimait pas.
Parce qu’elle n’avait jamais voulu
d’un mari, ni d’une fille,
ni même du rêve d’avoir une petite-fille
abandonnée dans son jardin,
elle a refusé le sourire.
Elle m’a regardée fouir
à la recherche d’un fruit âcre
le visage
sans expression.
Un drap de violettes
décoloré sur le fil à linge
battait dans l’air délavé.
On n’entendait que ce bruit
et celui du maïs qui s’élevait
comme ce mur.
Parce que je le savais à l’époque,
je l’ai regardée droit dans les yeux
sans rien exprimer,
et je me suis mise à suçoter
les radis sales, l’un après l’autre,
comme des tétons aigres au soleil.