Correspondance et Poèmes - Jean Lorrain et Gustave Moreau
(Réunion des Musées Nationaux - Collection "Textes RMN" - 94 pages - Octobre 1998)
Edition présentée et annotée pas Thalie Rapetti, historienne d'art.
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Jean Lorrain (1855-1906) est encore un jeune poète quand il débute une correspondance en 1883 avec le déjà grand peintre, Gustave Moreau (1826-1898), son aîné de 30 ans.
Subjugué par les peintures de Moreau, il lui envoie des poèmes qui s'inspirent de ses toiles.
En témoigne, à titre d'exemple, cette lettre de juin 1883 :
Une avalanche de vers, cher maître, mais aussi pourquoi peindre, ou plutôt pourquoi concevoir, ressentir et faire à votre tour concevoir et ressentir des visions aussi finies et aussi troublantes.
Je suis amoureux et cela irrémédiablement des Sirènes, du Sphinx et de la Chimère, chimérique amoureux moi-même d'énigmes et de mystères, je vous envoie ces maladives élucubrations avec prière de pardonner beaucoup à un des vrais malades de votre art;
Jean Lorrain - Fécamp, juin 83
Ainsi, trois poèmes sont annexés à sa lettre, dont celle concernant le tableau "La chimère" :
A Gustave Moreau.
La Chimère indomptable aux yeux profonds et bleus,
Abîmes rayonnants dans un visage d'homme,
Des palais de Sodome aux Lesbos qu'on renomme,
Droite, appuie au Zénith ses quatre pieds en feux.
Son poitrail qui se cabre et ses jarrets nerveux
Emportent par le gouffre, où l'air siffle et s'enflamme,
Lascif et douloureux, un souple corps de femme
Nue et flottant dans l'ombre entre ses lourds cheveux.
Les crins d'or de la bête et la toison d'aurore
De la femme en extase, embrasant l'air sonore,
Font une aube de gloire au fond du ciel obscur.
Le vertige les tord et, dardant sa prunelle,
Les bras autour du cou du monstre aux yeux d'azur,
S'enfonce dans la nuit la Rêveuse éternelle.
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La correspondance, assez peu abondante se termine en octobre 1893. Un peu plus de dix ans pour dire en poèmes une immense admiration.
A lire pour le plaisir des mots et la redécouverte de l'oeuvre de Moreau sous le regard d'un jeune poète. Un seul dommage, les oeuvres de Moreau ne sont pas reproduites dans ce recueil.
Denis
Jean Lorrain - Gustave Moreau