Les derniers jours de Mandelstam de Vénus Khoury-Ghata
(Mercure de France - mai 2016 - 134 pages)
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Vénus Khoury-Ghata (née en 1937 au Liban) est écrivaine et poétesse.
Elle consacre en tant que poète ce court récit aux derniers jours d'Ossip Mandelstam (1891 - 27 décembre 1938). Il est alors dans un camp de transit près de Vladivostok. S'il en est arrivé là, c'est selon la volonté de Staline de faire taire à jamais ce poète qui avait écrit un poème contre lui en novembre 1933 : "Epigramme contre Staline" :
Nous vivons, insensibles au pays qui nous porte,
À dix pas, nos voix ne sont plus assez fortes.
Mais il suffit d’un semi-entretien,
Pour évoquer le montagnard du Kremlin.
Ses doigts épais sont gras comme des asticots,
Et ses mots tombent comme des poids de cent kilos.
Il rit dans sa moustache énorme de cafard,
Et ses bottes luisent, accrochant le regard.
Un ramassis de chefs au cou mince l’entoure,
Sous-hommes empressés dont il joue nuit et jour.
L’un siffle, l’autre miaule, et un troisième geint,
Lui seul tient le crachoir et montre le chemin.
Il forge oukase sur oukase en vrai forgeron,
Atteignant tel à l’aine, tel à l’œil, tel au front.
Et chaque exécution est un régal,
Dont se pourlèche l’Ossète au large poitrail.
In Tristia et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 1982 p. 171-172
Vénus Khoury-Ghata nous montre Ossip Mandelstam épuisé, abandonné de ses derniers amis qui feignent de ne pas le reconnaître dans sa "déchéance physique". Seule son épouse, Nadejda (1899-1980), fait tout pour le retrouver. Elle espère qu'il lui a laissé des traces sur le trajet qui l'a mené au camp.
Elle n'aura comme réponse que la mention "Retour à l'envoyeur pour cause de décès" sur le colis qu'elle lui avait envoyé et c'est daté du 27 décembre 1938.
Mandelstam a été le compagnon de route de la poésie russe des années 1920-1930, côtoyant Boris Pasternak, Anna Akhmatova, Marina Tsvetaieva entre autres.
L'auteure restitue au plus près ces moments de fin de vie où la faim est le tracas quotidien sans oublier les souffrances endurées.
Mandelstam est sûr d'être encore en vie.
Mort, il n'entendrait pas le cliquetis des mâchoires de ses voisins. Mastiquée longuement, la même bouchée de pain trompe la faim. (P;69)