Mauvaises filles (Incorrigibles et Rebelles)
par Véronique Blanchard et David Niget
(Editions Textuel - 192 pages - 28 septembre 2016)
Préface de Michelle Perrot
Postface de Coline Cardi
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Michelle Perrot, l'historienne bien connue pour son engagement féministe, a écrit une dizaine de livres sur les femmes et préface ce livre richement illustré et sorti en librairie ce 28 septembre 2016.
Voici deux extraits de sa préface :
"Chacune des images de ce livre raconte une histoire singulière, ordinairement plus sombre".
"Somme foisonnante d'images, ce livre raconte une histoire globale dont Véronique Blanchard et David Niget sont les inventeurs et les metteurs en scène. L'une et l'autre sont experts en la matière. Auteure d'une thèse sur la déviance juvénile féminine (1945-1958), Véronique Blanchard, responsable du Centre de Savigny sur les enfants en justice, y organise des expositions, dont l'une récemment sur "les mauvaises filles". David Niget, maître de conférences à l'université d'Angers, est spécialiste de l'histoire de la jeunesse et de la justice en Europe et en Amérique du Nord. Archives judiciaires, policières, pénitentiaires et médicales sont leur pain quotidien".
Michelle Perrot présente admirablement les deux spécialistes qui ont "monté" ce "beau-livre", découpé en trois périodes que je peux résumer ainsi :
1/ Le temps des filles perdues (1840-1918)
Au XIXe siècle la jeune fille doit être pure, innocente, obéir et n'avoir aucune déviance sexuelle jusqu'à son mariage. Et l'autorité reconnue par le code civil de 1804 est celle du père.
Une fille qui ne respecte pas ces règles strictes sont classées "mauvaises filles".
Une des causes principales condamnations au XIXe siècle est le délit de vagabondage puni de trois à six mois d'emprisonnement.
Charcot se fait connaître à la Salpêtrière par son étude sur l'hystérie qui frappe beaucoup de jeunes filles.
L'abandon d'enfants est autorisé par la loi dans les hôpitaux soit à bureau ouvert soit dans un tour, cylindre qui tourne sur lui-même et permet de garder l'anonymat. Le personnel de l'hôpital fait tourner le cylindre et récupère l'enfant. A partir de 1904, les enfants abandonnés ne pourront avoir aucune information sur leurs parents même s'ils se sont faits identifier.
Le délit d'infanticide peut aller jusqu'à la peine de mort mais les tribunaux se montrent plutôt cléments et les peines sont fréquemment de travaux forcés de courte durée.
2/ Le temps des filles modernes (1918/1965)
Malgré la grande guerre qui a émancipé les femmes leur liberté reste sous surveillance.
"Les mauvaises filles" sont placées dans des centres pénitentiaires comme Fresnes où leurs conditions de vie sont déplorables au point qu'il y eut un vent de révolte dans plusieurs "prisons" en 1947.
Il faut aussi enfermer les fugueuses et leur apprendre les vraies valeurs que sont les travaux ménagers. Mais l'enfermement redonne envie de fuguer...
La guerre n'a pas amélioré la délinquance juvénile aussi l'ordonnance du 2 février 1945 institue le juge des enfants aux pouvoirs étendus. Il pourra initier la procédure, l'instruire, la juger et suivre l'application de ses décisions. Ceci permet de mieux suivre la réinsertion des jeunes. Souvent ces jeunes filles sont adressées à des centres d'observation.
3/ Le temps des filles rebelles (1965-2000)
Avec les "années 1968" s'annonce la réelle émancipation de la femme. La majorité est ramenée à 18 ans en 1974. Les mouvements hippies se développent avec le baby-boom. La drogue devient un problème de santé publique. Puis en 1975 c'est la loi de Simone Veil sur le droit à l'avortement.
La pratique du squat se développe au milieu des années 70, nouveaux lieux de vie commune et de sociabilité pour les jeunes marginaux.
Les troubles de la conduite alimentaire, essentiellement l'anorexie, touche environ 10% des jeunes filles.
La prostitution passe de plus en plus par Internet et des gangs de filles apparaissent aussi dans les villes.
Ce sont donc là les principaux points relevés dans ce livre. Il permet de voir l'évolution de la femme quand elle veut être "libre" dans un temps ici de 160 ans (1840-2000). Elle est déclarée "mauvaise fille" alors qu'elle revendique ses droits de femme. Bien sûr, comme pour les jeunes gens cela passe aussi par la vraie délinquence. Mais la plupart ont seulement voulu "vivre" comme un être humain, en capacité de gérer son évolution.
Coline Cardi, maîtresse de conférences (Université Paris 8 – Cresppa/CSU), est sociologue, spécialiste de la déviance et du genre. Elle travaille sur le genre du contrôle social, à travers les institutions de régulation (prison, justice des mineurs, institutions de protection sociale).
Elle dit dans la postface : "Surveiller de près le corps et la sexualité des jeunes filles, c'est avant tout maintenir l'ordre familial et hétérosexuel. Pilier de l'ordre social, il repose sur une stricte répartition des rôles sexués, répartition mise en péril par ces "mauvaises filles" qui risquent de faire de mauvaises mères".
Ceci résume bien le "mal" ressenti par l'ordre établi depuis des centaines d'années
Ce livre dresse quelques portraits de "mauvaises filles" au fil de la période étudiée en début de chaque chapitre, les pages suivantes illustrant avec photos, extraits de presse etc... les thématiques proposées et que j'ai résumées plus haut.
Un livre passionnant à lire absolument.
Bonne lecture
Denis